Translated by Saverina Pasho
Othello ne connaissait pas l’amour, cependant son cœur était assez grand pour le porter et assez patient pour l’attendre. Lorsqu’il habitait le désert, il était petit, arrivé à la Sérénissime il était esseulé, alors qu’à Vlora il était apeuré. Lors de ces trois voyages de sa vie, il ne pensa jamais à l’amour, car quand on est petit, esseulé et effarouché, on songe volontiers à des choses simples comme la joie, l’amitié et la sérénité. Mais, à mesure que le cœur de l’homme grandit, l’amour grandit aussi. Stéphane Gjika, ayant vu le cœur d’Othello, dit qu’il était plus rouge que celui des autres. Stephan Gjika n’aurait pas échangé son cœur pour le sien, pour ne pas éprouver davantage de souffrances, naturellement ; mais il pensait qu’Othello était prêt pour l’amour. C’est ainsi qu’un jour il lui demanda: Sais-tu ce qu’est l’amour ? À son grand étonnement, Othello réagit comme un homme et non comme un enfant, et répondit oui.
Qu’est-ce que l’amour, alors? demanda-t-il de nouveau. Othello regarda par la fenêtre en clignant des yeux comme pour se rappeler mot à mot quelque chose qu’il devait bien connaitre, et dit: L’amour est la relation entre un homme et une femme. Et c’est tout? Continua le médecin. Il ya relation aussi entre un frère et une sœur, n’est-ce pas? L’amour entre frère et sœur passe par les parents, répondit Othello. L’amour entre l’homme et la femme passe par les enfants. Stéphane Gjika eut alors l’impression de parler à un cactus du désert qui n’aurait vu que ses racines, jamais le feuilles. Othello avait une fleur dans son cœur et un cactus dans sa tête, mais il l’ignorait. Dans le désert, on lui avait enseigné que l’amour est, évidemment, un berceau rempli de bébés, et que si un mari et une femme n’avaient pas d’enfants, pourquoi s’aimeraient-ils. Il n’est pas encore prêt pour ce monde, se dit le médecin et ses petits yeux se dilatèrent comme s’ils avaient trouvé une oasis au beau milieu des sables. Un homme et une femme peuvent s’aimer même s’ils n’ont pas d’enfants, dit-il à Othello. Si cela est vrai, Marco Polo et la grand-mère d’Albano Contarini ne se seraient jamais aimés, répondit Othello naïvement. Stéphane Gjika se mit à rire. Le cactus d’Othello avait commencé à boire l’eau du creux de sa main. Il connaissait chaque partie, chaque veine, chaque fibre du corps d’Othello, mais cela ne lui suffisait pas: Il était un sacré curieux qui croyait que le corps humain est relié à la tête tout comme la terre au ciel; que, si le ciel ne versait pas d’eau, la terre brûlerait et que si la terre n’exhalait pas les vapeurs, le ciel ne verserait pas d’eau. S’il n’avait pas été aussi curieux, il ne serait pas devenu médecin, mais jardinier ou peut-être marchand et alors il aurait dédié sa conscience et ses efforts aux choses, non aux hommes. Il avait choisi les hommes et, dès lors, ses yeux fouillaient leur corps et leur esprit.