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Photo of the cover of the book "Ma vie sous les tentes"

Jeff Schinker, born in 1985 in Luxembourg, is a writer and journalist. He studied in Paris, where he obtained a Master’s degree in Comparative Literature. Since 2017 he’s been working as editor of the cultural pages of the Luxembourg daily newspaper Tageblatt. In 2015, Jeff Schinker published Retrouvailles, a novella about a protagonist who organises and simultaneously describes a meeting among old friends. While this task seems at first superficial and banal, eventually uncomfortable truths are revealed. Sabotage, Schinker’s second book, is a collection of stories in French, Luxembourgish, English and German that confront its protagonists with the excesses and perversions of the world of work and relationships in a neoliberal society. It was published in 2018 and shortlisted for the Servais Prize for Literature, the Lëtzebuerger Buchpräis and the European Prize for Literature. Schinker’s most recent novel Ma vie sous les tentes was published in October 2021 and shortlisted for the Servais Prize for Literature in 2022. Jeff Schinker has also written several plays. His most recent one, Bouneschlupp, addresses racism in Luxembourg. Since 2014, he has also been organising, hosting and participating in the lecture series Désoeuvrés – Work in Progress. In 2016, Jeff Schinker was the laureate of the writer’s residency at the Literarisches Colloquium Berlin for which he has also been selected in 2023.

© Picture Philippe Matsas

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Ma vie sous les tentes (My life in tents)

The novel Ma vie sous les tentes by Jeff Schinker uses the experience of traveling to and attending music festivals to explore the existential insecurities of a writer and music fanatic. The protagonist sees in the unformatted revelling of festival life a way of resisting the patterns of modern consumer society, and in the friendships made through music a way of escaping an unsatisfying love life. The title’s tents become both a symbol for nomadic life, allowing the protagonist to travel through Europe and experience surprising and occasionally ludicrous or incredible adventures, and for the text itself, writing being seen as a similarly unstable refuge from personal and societal issues. The author revels in metafictional excursions and linguistic digressions that expose the narrative process and, in characteristic self-mockery, the futility of any search for meaning and stability. The unfamiliar becomes the commonplace, the only thread holding it all together being the communal experience of listening to music. The novel celebrates this by including listening suggestions and creates, with the addition of drawings by Alasdair Reinert, a multi-layered artistic experience. Both the story and the language reflect the sense of volatility and transience of a generation more at home in their friendships and the bonds created by music than in the families, villages and cities of their childhood.

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Excerpt

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Jeff Schinker

Ma vie sous les tentes

Hydre Éditions, 2021

Au final, cela s’est payé par une odeur pestilentielle dans ladite automobile puisque, par un effet physiologique que je serais en mal de vous expliquer dans les détails (sans quoi j’aurais pu prévoir la débâcle en question), la tente humide, exposée dans le coffre de la voiture, sur lequel un soleil élançant s’abattait, avait fini par suer et suinter, créant une ambiance tropicale dans le véhicule (me sermonna plus tard un ami qui aime sermonner) et quand, au bout de quelques jours, j’ouvris le coffre de la voiture, je vis qu’en dessous de la tente, des traces de moisissure avaient envahi tout ce qui y traînait 49 et qui n’était pas grand-chose de valeur, il y avait là seulement quelques magazines, des affiches pour des soirées lecture jamais accrochées, un t-shirt sale et un classeur que j’avais récupéré chez ma sœur, qui l’avait trouvé au cours d’un déménagement, et qui contenait des dessins que j’avais dû effectuer en classe, à l’école, classeur dont des feuilles débordaient et sur lesquelles, une fois que je l’ouvris, je pouvais constater à nouveau mon peu de talent pour le dessin et la peinture, ça faisait peine à voir, mais, couverts de taches de moisissure qu’ils étaient dorénavant, leur niveau artistique en était relevé, il y avait là quelque chose de touchant, les productions ratées d’un jeune enfant et la moisissure qui mangeait ces feuilles biscornues et racornies. Sur une des feuilles, j’avais crayonné un carré dont le tracé suivait de près les marges de la feuille. Le carré était censé représenter le corps de mon père, que j’avais surmonté d’un rond minuscule (sa tête) et complété, tout en bas, par une paire de crochets (ses jambes), le portrait ressemblant à une partition étrange écrite par un compositeur avant-gardiste devenu fou. Je ne me rappelle plus la tronche de mon père une fois que je lui eus tendu, avec une fierté mal dissimulée, le dessin (une maîtresse particulièrement inspirée nous avait incités à le finir vite fait afin que nous puissions l’offrir à nos paternels pour la fête des Pères), il a dû faire la moue puis me caresser les cheveux en se disant Celui-là il ira pas loin. À présent, le corps ballonné de mon père, comme marqué par le passage du temps, était traversé de bouffissures. J’y jetai un dernier regard avant de tout balancer à la poubelle (j’aime pas la nostalgie). Par ailleurs, je suis bien trop bordélique pour me constituer un équipement de campeur, qui ne ferait que prendre 50 poussière dans ma cave, une cave aussi foutraque que mes textes, tout comme je serais aussi bien en peine de l’entretenir, ce matos. Un jour, mon père m’avait offert une table de camping avec bancs attachés qui, par une sorte de miracle de la mécanique, se dépliaient dès lors que l’on ôtait le verrou de sécurité. Elle était fort jolie. Au bout de son deuxième jour d’utilisation, un Espagnol passé par là pour nous parler de cinéma d’auteur (un peu) et draguer ma sœur Sarah avec ostentation (beaucoup) était tombé dessus et l’avait cassée en deux (salut Raul). Drôles de techniques de drague, ces Espagnols. Depuis, on avait abandonné un tel luxe, retour à la case de départ rustique, une tente, des sacs de couchage, et hop! au lit, et qu’on se félicite déjà d’avoir pensé à tout amener, ce qui était loin d’être toujours le cas, parfois manquait, quand on déballait le tout, un petit détail, genre la moitié de la tente (je te disais bien qu’il y avait un sac qu’on n’a pas ramené, me lançait alors mon pote Alasdair, stoïque, faisant accompagner sa remarque du pschitt caractéristique d’une bière décapsulée, pschitt suivi quelque quart d’heure plus tard par le délicat froissement de la cannette en métal vidée qu’il avait coutume de plier dans sa main une fois le contenu transvasé dans son estomac, marquant ainsi l’écoulement du temps, comme le prisonnier gratte le mur de sa cellule pour faire des entailles verticales – la durée, au festival, est comptée non plus en heures, mais en concerts et en bières ingurgitées, c’est une temporalité autre, plus gracieuse, plus légère, plus floue aussi, surtout en fin de soirée, loin de cette fastidieuse division en faisceaux d’heures par le monde du travail). Mais, alors que je répétais encore une fois les gestes pour ranger la tente dans le sac censé la contenir et qui n’arrive à la 51 contenir qu’une seule et unique fois puisque après, peu importe la façon dont on la plie, qu’on s’y avachisse tel un ivrogne (que peut-être, selon l’heure, l’on est encore), qu’on fasse ensuite des roulés sur la toile et le tissu aplanis, ressemblant à quelqu’un qui s’adonne à quelque obscur exercice de yoga, un chien tête en bas (adho-mukha-svanâsana) qui se serait couché sur son flanc ou un guerrier (virabhadrâsana) agonisant avant sa mort au combat, ou encore à un artiste qui exécute une étrange chorégraphie de danse contemporaine, essayant en vérité de faire sortir les moindres poches d’air de l’amas de toile ainsi aplati, dans l’espoir de pouvoir le plier en quatre – expression idiote, on le pliait bien plutôt en seize ou en trente-deux – et de le faire rentrer dans son contenant ridiculement minuscule, peu importe la façon dont on s’y prend, on n’y arrive plus jamais ; alors que je répétais donc encore une fois ces gestes (ça y est, on est encore parti pour une de ces phrases dont je me demande toujours, en leurs beaux milieux, comment je vais faire pour m’en sortir, comme ces acrobates au cirque qui doivent se poser la même question alors que, debout sur une sorte de plateforme minuscule à une hauteur abracadabrante, ils s’élancent dans le vide (je dramatise un peu ma situation, et je n’ai d’ailleurs jamais été au cirque)), les découvrant à nouveau, ces gestes, avec une naïveté et une ingéniosité assez incompréhensibles, m’étonnant du fait que mon corps, au bout de tant d’années, n’ait retenu aucune des étapes à accomplir, je me disais que, peut-être, j’écrivais comme j’installais mes tentes, me lançant à l’aventure à chaque fois sans savoir comment je ferais pour achever l’édifice, me servant du matériau de base pour tenter de construire quelque 52 chose de brinquebalant, d’éphémère, mais quelque chose qui serait conscient de ce caractère précaire, et qui en jouirait, puisant d’abord dans les outils à ma disposition pour créer une sorte de charpente, autour de quoi j’allais par la suite, plaçant et enfonçant les éléments de la phrase comme autant de piquets dans le sol de la syntaxe, consolider, remplir, meubler, puis essayant, une fois la chose debout, d’y dormir et d’y vivre, d’y revenir aussi, ivre parfois, de tenter d’y faire la fête en rameutant des gens, d’y glisser des tentatives de vécu et de voir si, à la fin, ça allait tenir.[1]

[1] Amélie Nothomb, au contraire, est l’écrivaine-Quechua: ses phrases sont comme ces tentes qu’on jette avec dédain à ras le sol et qui se déploient, se montent d’elles-mêmes. Par contre, au premier coup de vent, bonjour les dégâts.